S’ouvrir à l’Esprit Saint – Le Podcast

Texte du Podcast

par Francis Kohn – Postulateur de la cause de canonisation du Serviteur de Dieu Pierre Goursat

S’ouvrir à l’Esprit Saint

 « Amen, amen, je te le dis : à moins de naître d’en haut, on ne peut voir le royaume de Dieu », explique Jésus à Nicodème, ce notable juif, qui est venu l’interroger la nuit, en catimini. Cet homme droit, qui a soif de Dieu, a bien perçu que Jésus n’était pas un rabbin comme les autres. Et lorsque Nicodème demande à Jésus comment cela est possible de « renaître », Jésus lui répond : « Amen, amen, je te le dis : personne, à moins de naître de l’eau et de l’Esprit, ne peut entrer dans le royaume de Dieu. Ce qui est né de la chair est chair ; ce qui est né de l’Esprit est esprit […]. Le vent souffle où il veut : tu entends sa voix, mais tu ne sais ni d’où il vient, ni où il va. Il en est ainsi pour qui est né du souffle de l’Esprit » (Jn 3, 3-8). Ces quelques versets sont comme le résumé de l’effusion de l’Esprit qui est comme une nouvelle naissance et de la vie dans l’Esprit qui nous fait écouter le souffle de l’Esprit Saint et de nous laisser guider par lui.

 

S’ouvrir à l’Esprit Saint et se laisser conduire par lui est nécessaire, si nous voulons suivre Jésus et vivre en chrétiens. Pour Pierre Goursat, comme pour beaucoup d’autres, la découverte du Renouveau charismatique fut une étape fondamentale pour entrer dans cette vie nouvelle, qui n’est possible que si nous accueillons pleinement l’Esprit Saint. C’est le thème de cet entretien. Je développerai trois parties : je vais d’abord vous montrer que l’effusion de l’Esprit est une expérience de Pentecôte, fondatrice, puis j’aborderai ce qu’est la vie dans l’Esprit, et je vous présenterai enfin ce que sont les charismes et comment les exercer.

 

-I) L’effusion de l’Esprit, une expérience fondatrice

-1) Le désir de la sainteté et la prise de conscience de son incapacité à y parvenir

Il est important de réaliser que Pierre Goursat avait déjà 57 ans lorsqu’il a reçu l’effusion de l’Esprit en 1972. Et il est mort à 77 ans. Ces nombreuses années qui ont précédé cette expérience et les débuts de la Communauté constituent donc les 3/4 de son existence.

Après sa conversion, à 19 ans, Pierre avait le désir d’être saint et il pensait qu’il pourrait le devenir rapidement. Il s’y efforça entre 1933 et 1972, à travers ses études, l’épreuve de la maladie, l’aide qu’il apporta à sa mère dans la gestion de l’hôtel qu’elle dirigeait, puis ses diverses activités professionnelles, dans une grande fidélité à la prière, mais il avait l’impression de stagner, de na pas avancer. Ces 40 ans furent pour lui un long chemin de sanctification, d’épreuves et de purification, qu’il vécut dans une grande solitude. Cette période est fondamentale pour comprendre Pierre qui ne trouva sa voie qu’à 58 ans ! Il témoigna plus tard que, malgré ses échecs et son impuissance à progresser spirituellement, il persévéra cependant dans son désir et sa recherche de la sainteté, et qu’il ne faut jamais se décourager :

Dans l’enseignement sur l’humilité, je vous ai expliqué que Pierre était très proche de Ste Thérèse de Lisieux, qui était entrée au carmel à 15 ans, et qui est morte à 24 ans. Pierre raconta :

« Je me suis converti à 19 ans… Et voyant Thérèse de l’Enfant-Jésus, je me suis dit : “Elle est morte à 24 ans, j’ai encore cinq ans pour arriver avec elle”. Alors j’ai fait une course contre la montre avec Thérèse de l’Enfant-Jésus. Vous avez compris que je me suis fait battre sur le poteau. J’étais vraiment très essoufflé parce que j’avais été trop vite. Alors je me suis dit: “J’ai raté une Thérèse, je vais réussir avec l’autre” ». Il évoquait Ste Thérèse d’Avila qui avait vécu une forte conversion après de nombreuses années passées au Carmel.

Pierre continue ainsi son témoignage :

« Thérèse d’Avila, elle, c’était bien, parce qu’elle a mis 20 ans [pour se convertir]. Je me suis dit : “20 ans ! Jamais je ne vais mettre 20 ans ! Rester dans un couvent pendant 20 ans et ne pas avancer, c’est vraiment charmant ! ”. Et puis j’ai réalisé que, moi, j’ai mis 40 ans, et que je n’avais toujours pas avancé. Puis au moment où j’ai dit : “Moi, je ne m’en sors plus, je n’en finirais plus”, ça se met redémarrer. Alors vous avez toutes vos chances. Ce qu’il faut surtout, c’est attendre que le Seigneur vous appelle »[1].

Pierre évoquait ici l’effusion de l’Esprit qu’il reçut en février 1972. Pour de nombreux catholiques, l’Esprit Saint était alors “le grand inconnu”. Après avoir quitté l’Office Catholique Français du Cinéma, Pierre était dans une grande attente intérieure et se demandait ce que le Seigneur attendait de lui. A la fin de l’année 1971, il rencontra à Paris le P. Régimbal, prêtre trinitaire canadien, qui lui parla des débuts du Renouveau charismatique aux États-Unis et au Canada. Pierre comprit aussitôt que le Renouveau était un don providentiel, la réponse de Dieu à la prière que Jean XXIII avait faite en annonçant le Concile Vatican II en 1962. Le pape avait en effet appelé de ses vœux une “nouvelle Pentecôte” sur l’Église et avait dit : le Concile « sera comme une nouvelle Pentecôte où reprendront vigueur les énergies apostoliques et missionnaires de l’Église dans toute l’étendue de son mandat et de son ardeur juvénile »[2].

 

-2) L’effusion de l’Esprit est une « Pentecôte » personnelle

Voyons d’abord ce que fut la Pentecôte pour les Apôtres et comment les promesses que Dieu avaient faites à son peuple dans l’Ancien Testament, se sont pleinement réalisées ce jour-là.

Dès les premières lignes de la Bible, l’esprit de Dieu est évoqué comme un souffle « qui planait à l’origine à la surface des eaux » (cf. Gn 1, 2). Dans le récit de la création, il est précisé qu’après avoir modelé l’homme, pour en faire un être vivant, Dieu « insuffla dans ses narines l’haleine de vie » (cf. Gn 2, 7). Ce même esprit vivifiant va se manifester à de nombreuses reprises dans l’histoire du salut et plusieurs prophètes vont annoncer qu’il serait répandu sur tous. Ézéchiel invite le peuple d’Israël à une purification intérieure, condition nécessaire de sa restauration et de sa renaissance (cf. Ez 36). Dans une vision, Dieu lui montre une vallée pleine d’ossements desséchés qui représentent la Maison d’Israël et il annonce qu’ils vont ressusciter. Dieu demande à Ézéchiel de dire à ces ossements : « Je vais faire entrer en vous l’esprit, et vous vivrez » […]. Alors vous saurez que Je suis le Seigneur » (Ez 37, 1-14).

Plus tard, Joël prophétise une “effusion de l’esprit” sur tout le peuple :

« Je répandrai mon esprit sur tout être de chair, vos fils et vos filles prophétiseront, vos anciens seront instruits par des songes et vos jeunes gens par des visions. Même sur les serviteurs et les servantes je répandrai mon esprit en ces jours-là » (Jl 3, 1-2).

Par sa mort et sa Résurrection, le Christ vient accomplir cette “nouvelle création” qui se manifeste au grand jour lors de la Pentecôte. Le soir de Pâques, Jésus ressuscité apparaît aux Apôtres et souffle sur eux en leur disant « Recevez l’Esprit Saint » (cf. Jn 20, 22).

L’effusion de l’Esprit se caractérise par deux mouvements concomitants, l’un intérieur, l’autre extérieur. Explicitons ce point. Lorsque les Apôtres reçoivent l’Esprit Saint, ils comprennent soudainement ce que le Christ leur avait annoncé durant sa vie terrestre et que leurs esprits ne pouvaient pas encore réaliser (le mystère du salut) et ils entrent alors dans une relation nouvelle avec le Christ ressuscité qui transforme toute leur existence. C’est le premier mouvement, de renouvellement intérieur.

A la Pentecôte, une autre promesse que Jésus avait faite à ses Apôtres avant l’Ascension s’accomplit aussi. Il leur avait annoncé: « Je vais envoyer sur vous ce que mon Père a promis. Quant à vous, demeurez dans la ville jusqu’à ce que vous soyez revêtus d’une puissance venue d’en haut » (Lc 24, 49). Ils reçoivent alors cette force nouvelle, et en un instant, ils sont libérés de cette peur qui les paralysait depuis l’arrestation du Christ et sa mort sur la Croix, et sont rendus capables d’annoncer la Bonne Nouvelle avec une assurance qui étonne tous leurs interlocuteurs, et cela malgré les contradictions et les persécutions qu’ils rencontrent. C’est le second mouvement, extérieur qu’opère en eux cette puissance divine en leur donnant une audace extraordinaire pour témoigner, à temps et à contretemps, parfois jusqu’au martyre.

L’effusion de l’Esprit est pour nous (ou devrait être) ce que la Pentecôte a été pour l’Église naissante, c’est-à-dire son point de départ et son envoi en mission.

 

-3) L’expérience de l’effusion de l’Esprit fut une nouvelle étape dans la vie de Pierre

Ces 40 années qui ont précédé l’expérience de l’effusion de l’Esprit furent pour Pierre un temps de préparation nécessaire avant ce “nouveau départ” à partir duquel des fruits abondants vont se déployer. Ainsi commence pour lui une seconde étape décisive de sa vie. Il constate alors une accélération soudaine de l’action de la grâce dans sa vie. Pierre disait qu’il avait l’impression d’avoir été embarqué dans un avion supersonique, dans une “Formule 1”, qui avançait à vive allure et qu’il n’avait qu’à bien “s’accrocher” derrière le pilote… Il réalise que Dieu accomplissait en lui ce qu’il n’avait pas réussi à faire par lui-même : « Nous sommes embarqués dans une histoire fantastique. On n’y est pour rien du tout »[3], disait-il. Il éprouvait une grande joie et se laissait conduire docilement par l’Esprit Saint, dans une grande confiance.

La paix et la joie sont les premiers fruits de l’Esprit, comme l’indique St Paul (cf. Ga 5, 22).

Jusqu’alors, Pierre avait cherché à suivre le Christ, mais il avait toujours agi seul. Le Seigneur va lui donner des frères et sœurs, et autour de lui, une grande aventure ecclésiale va progressivement prendre corps. Pierre est complètement dépassé par les évènements, en cette période de fondation de la Communauté où les assemblées de prière se développent à Paris, avec de nombreux jeunes assoiffés du Seigneur qui affluaient autour de lui.

         L’effusion de l’Esprit est l’expérience fondatrice qui caractérise les groupes de prière et communautés nés dans la mouvance du Renouveau charismatique. Elle vient en effet renouveler et actualiser en nous la grâce baptismale. Le Cardinal Suenens, qui avait été l’un des modérateurs du Concile Vatican II – à qui Paul VI, puis Jean-Paul II, avaient demandé d’accompagner le Renouveau charismatique – affirmait qu’il n’était pas un “mouvement mais un “courant appelé à irriguer et à renouveler la vie de toute l’Église. II disait que l’effusion de l’Esprit est l’expérience que tout baptisé est amené à faire pour devenir un “chrétien normal”.

Et Pierre Goursat affirmait avec force à Paray-le-Monial en 1975 :

« Je vous en prie mes frères, comprenez que le Renouveau, c’est un renouveau charismatique. On n’a pas mis le mot de Pentecôte parce qu’on a tellement peur des Pentecôtistes ! Mais, vraiment, c’est un esprit de Pentecôte, il faut vraiment comprendre ça »[4].

 

– II) La vie dans l’Esprit

-1) L’Esprit Saint nous sanctifie. C’est un don de Dieu

Dans l’enseignement sur l’humilité, j’ai souligné que Pierre Goursat avait une vive conscience de sa misère. Avoir un cœur humble et pauvre est la première condition pour recevoir l’effusion de l’Esprit. Dieu a besoin que nous lui laissions toute la place pour agir et nous transformer, pour nous combler de sa présence. Pierre expliquait que pour recevoir l’Esprit Saint et le laisser opérer en nous ce que nous ne pouvons pas accomplir par nous-mêmes, il faut avoir un cœur de pauvre, une âme de désir : « On est des pauvres types, et plus on est de pauvres types, plus c’est merveilleux. Parce que cela nous donne l’humilité, cela nous humilie et c’est seulement dans l’humilité, qu’on reçoit le Saint-Esprit, comme disait Silouane »[5]. C’est un moine russe, très vénéré dans l’Église orthodoxe qui vécut au XIXème siècle au Mont Athos.

Très souvent, notamment lors de la messe, on invoque l’Esprit Saint, c’est l’épiclèse, mais sans avoir conscience qu’il est une Personne divine, intimement unie au Père et au Fils au sein de la Trinité. Pierre a témoigné combien sa vie a changé quand il a pris conscience que la mission de l’Esprit Saint est de nous transformer, de nous renouveler profondément, de nous sanctifier. Il disait :

« Avant, on se disait : “Oh Jésus, je voudrais bien aller à toi”. Et puis, on tombait tout le temps, C’est ce qui m’est arrivé, jusqu’au jour où j’ai dit : “Oh si tu pouvais nous envoyer l’Esprit Saint”. Et j’ai enfin fini par comprendre que si je ne pouvais pas avancer, c’est que je ne demandais pas à l’autre consolateur, à l’avocat, au conseiller, de m’aider. J’avais compris que c’était l’Esprit Saint, mais je n’avais pas compris qu’il était l’Esprit sanctificateur »[6]. La découverte de Pierre c’est que l’Esprit Saint est celui qui nous sanctifie, qui nous renouvelle.

Lors du premier rassemblement de Vézelay, en juillet 1974, Pierre exhortait vivement les membres du Renouveau qui commençait en France à accueillir cette “nouvelle Pentecôte” :

« C’est vraiment une nouvelle Pentecôte, disait-il. Les catholiques ont prié pour cette nouvelle Pentecôte, et quand elle arrive, ils sont tout étonnés. Alors il faut qu’on change, et c’est l’Esprit Saint qui va nous changer. Il n’attend que cela »[7].

Pierre Goursat affirmait aussi : « C’est la seule prière qui est sûre d’être exaucée. Si on demande à l’Esprit Saint de venir, il viendra et il nous transformera »[8]. Sans doute, pensait-il à cette parole de Jésus : « Si vous qui êtes mauvais, vous savez donner de bonnes choses à vos enfants, combien plus le Père du ciel donnera l’Esprit Saint à ceux qui l’en prient ! » (Lc 11, 13). Pierre aimait aussi citer St Séraphim de Sarov pour qui le but de la vie chrétienne est “l’acquisition du Saint-Esprit”. Le terme “acquérir” est à comprendre ici dans le sens d’“accueillir”, car l’Esprit Saint ne s’obtient pas par une recherche volontariste. Il est donné à ceux qui le désirent ardemment et se disposent à le recevoir, le cœur grand ouvert.

 

-2) L’effusion de l’Esprit nous fait prendre conscience de la présence agissante de l’Esprit Saint en nos vies et nous éduque à l’accueillir comme le guide de nos âmes.

Esprit d’amour du Père et du Fils, l’Esprit Saint est le don incréé et éternel que les personnes divines s’échangent dans l’intimité de la vie trinitaire. St Thomas d’Aquin affirme que le propre de l’Esprit Saint est « d’être donné et d’être Don »[9]. Il est à l’origine de tous les autres dons que Dieu accorde à ses créatures. C’est que St Paul soulignait aussi : « L’amour de Dieu a été répandu dans nos cœurs par le Saint-Esprit qui nous a été donné » (Rm 5, 5).

Pierre Goursat comparait l’Esprit Saint à un magnifique cadeau que nous avons reçu, mais que nous n’osons pas utiliser par peur de l’abîmer. Il disait avec humour :

« Maintenant le Saint-Esprit vient, alors il faut s’en servir ! Le Saint-Esprit, on l’a théoriquement, mais pratiquement on ne s’en sert pas. C’est un beau cadeau qu’on nous a fait ». Et il ajoutait : « On dit : “Il est très beau”, mais on le remet dans l’armoire, comme les potiches et on dit : “On s’en servira pour les grands jours”. Comme le service de table des grands jours. On pense que si on s’en sert tout le temps, on va le casser. Le Saint-Esprit, il faut s’en servir tout le temps ! Tout le temps, tout le temps. Et après, vous ne pouvez plus vous en passer »[10].

L’Esprit Saint est “l’hôte de nos âmes”. Il est discret et ne s’impose pas.

Dans les prières à l’Esprit Saint, nous l’invoquons comme “le Conseiller, don du Dieu très-Haut”. Il nous ouvre à la foi et nous unit au Père et au Fils. Pierre Goursat écrivait : « Le Seigneur nous rend participants de la vie divine, et c’est l’Esprit Saint qui est là pour réaliser cela en nous »[11]. L’Esprit Saint est “l’hôte de nos âmes”. Il désire venir en nous, renouveler notre vie, mais il ne s’impose jamais. Pierre rappelait que l’Esprit Saint agit toujours avec beaucoup de discrétion et de délicatesse :

« Le Saint-Esprit est excessivement délicat, soulignait-il. Il frappe doucement à la porte, et nous, on est occupé, on ne l’entend pas. Alors il s’en va et dit : “Je suis venu, mais on ne m’a pas ouvert”. Alors une fois, deux fois, trois fois, ça va ; il est très poli, il dit : “Excusez-moi, je reviendrai”. Finalement, il pense qu’il est indésirable et il s’en va ailleurs »[12].

 

– 3) L’importance des vertus théologales et des dons du Saint-Esprit

Notre corps a des organes pour se développer, des membres pour se mouvoir et pour agir. Nous possédons également des “organes spirituels” qui ont leur fonctionnement propre et interagissent entre eux. Ce sont les vertus théologales et les dons du Saint-Esprit.

Les vertus comme le rappelle le Catéchisme de l’Eglise Catholique sont des dispositions habituelles, stables et fermes, à faire le bien. Les vertus humaines, appelées aussi vertus morales, sont acquises par l’éducation, par des actes délibérés et répétés. Quatre d’entre elles, la prudence, la justice, la force et la tempérance, sont dites “cardinales”, parce qu’elles jouent un rôle charnière (CEC n° 1805). Ces vertus humaines doivent être purifiées et élevées par la grâce divine : c’est la fonction des vertus théologales.

Les vertus théologales sont la foi, l’espérance et la charité. Elles se réfèrent directement à Dieu et adaptent nos facultés à la participation de la nature divine (cf. CEC n°1810 ; 1812). Elles sont dites “infuses” parce qu’elles font partie de la grâce : leur fonction est de fonder, d’animer et de caractériser l’agir moral du chrétien, en vivifiant les vertus morales.

Les dons du Saint-Esprit, que nous avons reçus à notre baptême, viennent compléter et perfectionner l’exercice des vertus théologales. Ce ne sont pas des puissances d’activité, mais des organes réceptifs, comparables à des antennes spirituelles qui nous permettent de capter la vie divine. Les dons du Saint-Esprit sont des dispositions permanentes qui nous mettent en contact avec Dieu et nous rendent dociles à obéir avec promptitude aux inspirations divines et à suivre les impulsions de l’Esprit Saint (cf. CEC n°1830).

L’effusion de l’Esprit vient précisément déployer en nous ces dons du Saint-Esprit, reçus à notre baptême, qui nous rendent dociles à obéir avec promptitude aux inspirations divines. Ils nous permettent de saisir “instinctivement” par une intuition profonde ce que notre raison humaine ne pourrait qu’entrevoir faiblement, au prix de beaucoup d’efforts. L’Esprit Saint est le “Maître intérieur”, qui agit en nous et nous sanctifie ; encore faut-il que nous soyons “branchés” sur lui en nous servant de ces “récepteurs” que sont les dons du Saint-Esprit : la sagesse, l’intelligence, le conseil, la force, la science, la piété et la crainte de Dieu (cf. CEC n° 1831, selon Is 11, 1-2 qui ne distingue pas la piété et la crainte de Dieu).

 

-4) Le primat de la vie dans l’Esprit pour être dociles à ce que Dieu nous inspire

La vie dans l’Esprit n’est possible que si nous nous appuyons sur les dons du Saint-Esprit. L’Esprit Saint est en effet le “Conseiller” qui nous donne une connaissance intérieure qui engage notre vie, notre volonté et nos puissances affectives ; il nous rend attentif aux inspirations divines, docile à ses motions. Dieu seul peut nous conduire, nous orienter vers lui et nous donner part à sa vie divine. St Paul oppose l’homme psychique ou charnel qui agit par ses seules capacités humaines, à l’homme spirituel qui se laisse façonner et guider par l’esprit de Dieu (cf. 1 Co 2, 14-15). C’est l’Esprit Saint qui transforme nos pensées pour nous rendre capables de comprendre la volonté de Dieu et de nous y soumettre, comme St Paul l’explique :

« Que le renouvellement de votre jugement vous transforme et vous fasse discerner quelle est la volonté de Dieu, ce qui est bon, ce qui lui plaît, ce qui est parfait » (Rm 12, 2).

Cette vie dans l’Esprit caractérisait vraiment Pierre Goursat. Il « manifestait une heureuse connivence avec l’Esprit », dit un frère. Avec une très grande ouverture à l’Esprit Saint qu’il priait beaucoup et une forte confiance en son action, il s’est laissé conduire pour le développement de la Communauté, conscient qu’elle était l’œuvre du Seigneur. Pierre était très « charismatique », au sens où il cherchait sans cesse à écouter l’Esprit Saint et à se laisser conduire par lui avec une grande docilité, une écoute attentive à ses inspirations. L’un des premiers frères de la Communauté qui vivait avec lui sur la Péniche dit de Pierre : « Il était très profondément “charismatique” ; l’Esprit soufflait et il essayait d’ajuster ses voiles ».

Cette vie dans l’Esprit donnait également à Pierre Goursat une liberté intérieure étonnante en toutes circonstances, dont j’ai donné quelques exemples à propos de son humilité. Il ne voulait jamais se laisser enfermer dans des structures ou des plans préétablis, ce qui lui permettait d’avoir une grande inventivité et audace dans l’évangélisation. Durant les heures qu’il passait en adoration devant le tabernacle, Pierre s’ouvrait aux “motions de l’Esprit” qui guidaient son action. Il écoutait les objections que nous pouvions lui faire quand nous pensions que ce qu’il proposait semblait difficile à réaliser. Et après avoir réfléchi et prié longuement, il n’hésitait pas à revenir en arrière quand il comprenait qu’il s’était trompé.

Quelqu’un dit : « Il s’est laissé guider par le Seigneur et remplir par la grâce parce qu’il était libre de lui-même ». Cette liberté, Pierre la recevait de Dieu en permanence et il cherchait à ce que les autres soient également libres et détachés d’eux-mêmes. Une femme mariée qui a connu Pierre alors qu’elle était très jeune affirme : « Il était libre, comme un enfant ». Deux frères qui ont fait partie de la communauté à ses débuts et qui furent proches de Pierre confirment, comme beaucoup d’autres, ce trait caractéristique de la personnalité de Pierre. L’un dit : « Pierre était très libre et nous a rendus plus libres ». Et le second affirme : « C’est l’homme le plus libre que j’ai rencontré ». La liberté de Pierre était la liberté de la vie dans l’Esprit.

 

– III) Le rôle et l’exercice des charismes

L’Esprit Saint est le principe vital qui insuffle la vie dans le Corps de l’Église, en assure la communion et la vivifie sans cesse. Il est l’“âme de l’Église”, le principe vivifiant qui la renouvelle et la rajeunit en permanence. St Augustin précisait :

« L’Esprit Saint est pour les membres du Christ, c’est-à-dire pour le Corps du Christ qui est l’Église, ce que notre esprit, c’est-à-dire notre âme, est pour nos membres » (Sermo 269, 2).

Après la Pentecôte, les Apôtres reçoivent des charismes, parfois extraordinaires, pour accomplir leur mission. Le Renouveau charismatique a remis en valeur ces charismes qui avaient été largement délaissés dans l’Église catholique. A l’initiative du Cardinal Suenens, le Concile Vatican II avait inséré un paragraphe spécifique sur les charismes dans la Constitution dogmatique sur l’Église publiée en 1964. Je vous cite ce passage :

« L’Esprit Saint ne se borne pas à sanctifier le peuple de Dieu par les sacrements et les ministères… Il distribue aussi parmi les fidèles de tous ordres, “répartissant ses dons à son gré en chacun” (1 Co 12, 11) les grâces spéciales qui rendent apte et disponible pour assumer les diverses charges et offices utiles au renouvellement et au développement de l’Église » (Lumen Gentium n° 12).

 

-1) Définition et rôle des charismes

St Paul parle des charismes en lien avec l’Église, qu’il compare au corps humain. Il explique : « En un corps unique dans le Christ, nous avons plusieurs membres qui n’ont pas tous la même fonction ; de même, nous, qui sommes plusieurs, nous sommes un seul corps dans le Christ, et membres les uns des autres, chacun pour sa part. Et selon la grâce que Dieu nous a accordée, nous avons reçu des dons qui sont différents » (Rm 12, 4-6). Il utilise le terme grec “charisma” pour désigner diverses réalités, mais toujours en rapport avec la grâce qui est un don de Dieu. Au chapitre 12 de la 1ère épître aux Corinthiens, St Paul fait un long développement sur les charismes et en donne la définition c’est le verset fondamental pour comprendre les charismes : « A chacun la manifestation de l’Esprit est donnée en vue du bien commun » (1 Co 12, 1-7). Chacun des termes qu’il utilise est important.

-“Le charisme est donné: le terme grec utilisé par saint Paul souligne la gratuité du don qui ne dépend pas du mérite ou de la sainteté personnelle de celui qui le reçoit. Les charismes manifestent la surabondance de la grâce par laquelle Dieu veut rendre les hommes coopérateurs de son dessein de salut. Ils nous permettent de coopérer à la croissance de la grâce sanctifiante qui nous dispose à laisser épanouir en nous la vie divine. Les charismes sont des motions passagères, et non pas une disposition stable que l’on possède de façon permanente.

-“à chacun: cette expression met en relief le caractère unique et singulier des dons de la grâce, ainsi que la souveraine liberté avec laquelle Dieu accorde ses dons à qui il veut, quand il le veut, et comme il veut.

la manifestation de l’Esprit: le terme grec utilisé, “phanerôsis”, souligne le fait que la vie divine nous est révélée, que la grâce nous est communiquée ; il indique également que l’action de l’Esprit Saint est avant tout de rendre témoignage au Fils, de le glorifier, de manifester qu’il est Seigneur.

en vue du bien commun: à la différence de la grâce, les charismes ne sont pas donnés d’abord pour notre sanctification personnelle, mais en vue du bien commun, pour l’édification de l’Église. Les charismes concourent ainsi à l’unité du Corps ecclésial, dont ils sont comme des jointures et des ligaments, « selon le rôle de chaque partie » (cf. Ep 4,16).

Les charismes sont une manifestation de la charité et sont au service de la charité.

On ne doit donc pas opposer la charité aux charismes en faisant une lecture réductrice du chapitre 13 de la première épître aux Corinthiens dans laquelle St Paul affirme le primat de la charité sur les charismes. Il a conçu les chapitres 12 à 14 comme un triptyque, et si vous lisez ces trois chapitres dans leur intégralité vous constaterez que St Paul y souligne l’importance des charismes : Au début du chapitre 12, il dit : « Frères, au sujet des dons spirituels, je ne veux pas vous voir dans l’ignorance » (1 Co 12, 1), puis à a fin du même chapitre : « Recherchez donc avec ardeur les dons les plus grands » (1 Co 12, 31). Le chapitre 14 commence aussi par cette invitation pressante : « Efforcez-vous d’atteindre la charité. Recherchez avec ardeur les dons » (1 Co 14, 1).

 

-2) La diversité et la complémentarité des charismes

Les charismes proviennent de l’unique Esprit, mais sont très variés, d’une grande diversité. Saint Paul mentionne la foi, les paroles de sagesse et de science, l’enseignement, l’exhortation, le don de guérison, la prophétie, le discernement des esprits, le parler en langues, le don de les interpréter, le service, les œuvres de miséricorde. Lorsqu’il évoque la guérison et le discernement, il utilise le pluriel (cf. 1 Co 12, 8-10), suggérant ainsi qu’il existe différentes formes pour chacun de ces charismes. Les charismes varient aussi en fonction des personnes qui les reçoivent et des circonstances dans lesquelles ils sont donnés. Leur multiplicité manifeste le fait que Dieu s’adapte aux besoins très divers de l’Église, qui évoluent selon les époques.

Les charismes sont connexes et interdépendants ; ils sont liés les uns aux autres, ils s’appuient et se confirment mutuellement. Saint Paul indique une hiérarchie entre les charismes et souligne qu’ils restent soumis aux ministères des apôtres, des prophètes, des évangélistes, des pasteurs et des docteurs (cf. Ep 4, 11 ; 1 Co 12, 28).

 

-3) L’exercice et le discernement des charismes

Les charismes sont donc importants et toujours d’une grande actualité. Nous pouvons les exercer dans les assemblées de prière, en maisonnée, au sein de nos rencontres communautaires, dans les différentes missions qui nous sont confiées, ainsi que dans notre vie quotidienne.

Comme je l’ai déjà indiqué, les charismes ne sont pas directement liés à notre “degré” de sainteté ou à nos capacités naturelles : ce sont des dons que Dieu accorde gratuitement à chacun pour le bien commun. Il nous faut désirer les recevoir en toute disponibilité intérieure, les accueillir avec gratitude et les exercer avec humilité. Exercer les charismes suppose de se laisser conduire docilement par l’Esprit et d’être attentifs à ses motions intérieures, mais aussi de faire des actes de foi. Il peut nous arriver de recevoir dans la prière des intuitions que nous n’osons pas mettre en œuvre par peur, par crainte du regard des autres ou par manque de liberté intérieure. L’exercice des charismes nous fait progresser dans la foi, dans la confiance.

C’est ensemble que nous pouvons exercer les charismes, en nous appuyant les uns sur les autres, en nous encourageant mutuellement. Les charismes que nous recevons de Dieu ne nous appartiennent pas et nous avons toujours besoin, à la fois du soutien et du discernement de nos frères. La soumission fraternelle nous maintient dans l’humilité et garantit la justesse des charismes. Pour que les charismes portent du bon fruit, ils doivent être exercés « dignement et dans l’ordre », comme le dit saint Paul à propos du don de prophétie (cf. 1 Co 14, 39-40). Dans une grande assemblée, il convient de consulter nos frères et sœurs avant de donner une parole, mais parfois la confirmation des charismes ne peut se faire qu’a posteriori.

L’audace “charismatique” doit s’appuyer sur la prudence ecclésiale : en effet, comme le rappelle St Paul, les charismes doivent être discernés par la communauté et authentifiés par l’Église :

« N’éteignez pas l’Esprit, ne méprisez pas les prophéties ; mais discernez la valeur de toute chose : ce qui est bien, gardez-le » (1 Th 5, 19-21).

 

-4) Pierre Goursat et les charismes

Pierre Goursat avait reçu le charisme du “chant en langues dans le métro, en rentrant chez lui après le week-end où il avait demandé l’effusion de l’Esprit. Il l’exercera habituellement dans sa vie de prière personnelle et il expliquera souvent que ce charisme nous permet de nous tenir devant Dieu comme des petits enfants, dans une attitude de simplicité et de confiance. Dans les rassemblements du Renouveau et les sessions de Paray-le-Monial, Pierre animait des carrefours de déblocage du “chant en langues”. Il avait une grâce particulière pour aider les gens, avec humour, à se détendre et à s’abandonner à l’Esprit Saint.

Pierre Goursat était ouvert aux charismes, mais voulait qu’ils soient discernés, confirmés, et exercés dans l’ordre. Dans les assemblées de prière, Pierre encourageait l’exercice des charismes mais il intervenait parfois pour « recadrer » la prière quand elle partait dans tous les sens ou que des prophéties ne lui semblaient pas justes.

Pierre avait “les pieds sur terre” et il se méfiait des phénomènes extraordinaires. Il avait un discernement très sûr et un fort charisme de gouvernement, un don de clairvoyance très aiguisé qui lui permettait d’apprécier avec justesse et finesse les situations et les personnes. Il insistait beaucoup sur l’importance du discernement des esprits et rappelait que le premier et le plus important des charismes, c’est le bon sens ! Pierre était en effet très réaliste et veillait toujours à l’équilibre entre la nature et la grâce. Il soulignait qu’il fallait se servir de son intelligence et ne pas faire n’importe quoi, sous prétexte qu’on était “charismatique”.

Pierre avait une grande sagesse, un don de prudence qui lui a permis de conduire la Communauté, malgré les oppositions et contradictions qu’il eut à affronter. Mais chez lui, la prudence n’avait rien de craintif ou de pusillanime. Quand un projet, une décision ne lui semblaient pas mûrs, il les portait dans la prière le temps qu’il fallait, pendant plusieurs jours ou quelques semaines, mais une fois qu’il avait acquis la conviction que c’était la volonté de Dieu, il n’hésitait pas, il avançait avec une grande audace, cherchait les moyens adaptés et les personnes qui convenaient, pour les mettre en œuvre dans les plus brefs délais.

Comme j’ai cherché à vous le montrer, Pierre Goursat était très charismatique, mais l’essentiel pour lui était de s’ouvrir à l’Esprit Saint, de se mettre à son écoute, de se laisser conduire et façonner par lui. L’Esprit Saint nous sanctifie, nous guide et nous accorde gratuitement des dons que nous avons à exercer au service de la communauté et de toute l’Église.

Remercions Dieu pour l’effusion de l’Esprit que nous avons reçue et demandons-lui de nous renouveler pour que nous soyons toujours plus souples et plus dociles entre ses mains. A l’exemple de Pierre, prenons conscience que c’est l’Esprit Saint qui nous fait vivre et nous appelle à « avancer au large », à entrer dans des profondeurs insoupçonnées de la vie spirituelle.

Accueillons avec confiance cette invitation, ce conseil que nous donne St Paul :

« Je vous le dis : marchez sous la conduite de l’Esprit Saint […]. Puisque l’Esprit nous fait vivre, marchons sous la conduite de l’Esprit » (Ga 5, 16. 25).

 

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[1] Week-end des premiers engagements à Chevilly-la-Rue, 18-19 juin 1977.

[2] Jean XXIII, radio-message Urbi et Orbi de Pâques, 21 avril 1962 ; cf. site internet du Vatican.

[3] Retraite de la Fraternité de Jésus, 30 décembre 1977.

[4] Deuxième session de Paray-le-Monial, 23 juillet 1975.

[5] Retraite de la Fraternité de Jésus, 31 décembre 1979.

[6] Rassemblement de Vézelay, juillet 1974.

[7] Rassemblement de Vézelay, juillet 1974.

[8] Retraite de la Fraternité de Jésus, été 1983.

[9] Somme théologique, I, q. 38 a. 1.

[10] Intervention lors d’une réunion, 23 mai 1976.

[11] Notes préparatoires à un enseignement, fin 1971.

[12] Intervention lors d’une réunion, 23 mai 1976.